« C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas de récompense. C’est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d’hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. » Albert Camus
Au bord de l’autoroute, à quelques kilomètres de Perpignan, on peut apercevoir, si l’on est attentif, derrière quelques éoliennes, des dizaines (des centaines ?) de baraques en ruine. Si on prend la peine de s’en approcher, on voit qu’il s’agit d’un camp, érigé sur une terre aride, où s’emmêlent aujourd’hui ronces et fil de fer barbelé.
Nous sommes au camp Joffre de Rivesaltes où seront internés les « étrangers indésirables » en application du décret du 12 novembre 1938.
Les premiers seront les Républicains espagnols, défaits par l’armée franquiste, venus chercher refuge en France, terre d’asile, pays des Droits de l’homme.
Au début de l’année 1939, un demi million d’hommes, de femmes et d’enfants franchissent les Pyrénées dans des conditions particulièrement difficiles. Une grande partie d’entre eux est d’abord internée sur les plages du Roussillon dans des camps de fortune. Ainsi, ils seront 100 000 sur la plage d’Argelès, cette même plage où je passe depuis de nombreuses années quelques jours de vacances. Rien – ou si peu – rappelle leur présence en ce lieu : tout juste une stèle évoquant la « Retirada » de février 1939, et, un peu plus dans l’intérieur, un petit cimetière, sans tombe indiquée, avec un monument aux morts… Quelques noms… Gomez… Lobato… Montero… Torres… Tudela… Vigara… et, pour finir, ces quelques mots « et tous ceux qui sont demeurés inconnus ». A côté, a été planté en 1999 un arbre à la mémoire des soixante-dix enfants de moins de 10 ans morts dans le camp d’Argelès.
J’étais à peine plus âgée lors de mon premier séjour en Espagne. J’accompagnais Maria Rosario, qui a vécu chez nous pendant de nombreuses années. Elle allait rendre visite à sa mère et son frère à Tortosa, en Catalogne : elle ne les avait pas revus souvent depuis que, toute jeune fille, elle avait fui l’Espagne déguisée en garçon. Pendant le voyage en train, elle m’avait raconté ses souvenirs de la guerre. A cette époque, je ne comprenais pas grand-chose à cette guerre-là sinon que les mêmes qui avaient tué son père communiste (elle l’avait retrouvé pendu à un croc de boucher dans une chambre froide) étaient toujours là. J’avais trouvé ça très inquiétant.
Le camp Joffre devait au départ accueillir des militaires. En janvier 1941, il ouvre officiellement et devient le « Centre d’hébergement de Rivesaltes ». Les Républicains espagnols y seront internés et aussi les Juifs (étrangers) et les Tziganes. Les conditions de vie y étaient terribles : faim, violences, viols par les gardes… (voir un témoignage sur le site « Mémoire de nos pères »).
La déportation des Juifs de France commence en mars 42. En août, une partie du camp devient « Centre National de Rassemblement des Israélites »… Pourtant les Allemands n’envahiront la Zone libre que trois mois plus tard… Et de là, ils partiront pour Auschwitz.
A la Libération, le camp devient « Centre de séjour surveillé de Rivesaltes », puis « Dépôt n° 162 des prisonniers de guerre de l’Axe ». En 1948, il retrouve sa vocation militaire, puis à partir des accords d’Evian, on y installera des familles de Harkis dans des conditions d’hébergement particulièrement rudes. Les dernières quitteront les lieux en 1970.
C’est au sein de ce même camp qu’a été construit en 1984 – sinistre symbole – le Centre de rétention administrative des Pyrénées-Orientales. Il a fermé ses portes en décembre 2007 (il est aujourd’hui à proximité de l’aéroport…).
France, terre d’asile… « Centre d’hébergement », « Centre de rassemblement », « Centre de séjour »… Camp de concentration.
En 1997, le camp est menacé de destruction. Une pétition initiée par le Collectif « Pour la mémoire vivante du camp de Rivesaltes », signée notamment par Simone Veil, Claude Simon, Edgar Morin, le sauve : le site ne sera pas rasé entièrement et un mémorial y sera érigé. C’est Robert Badinter qui, en 2005, a été choisi pour parrainer le projet. Il n’existe pas encore, mais un certain nombre d’actions pédagogiques et culturelles ont commencé à voir le jour. Il en aura fallu du temps.
Sur le bord de la route qui longe le camp trois stèles rappellent les souffrances de ceux dont les fantômes peuplent les lieux : les Juifs déportés, les Harkis, les Républicains espagnols. En marchant entre les baraques délabrées, sur le sol sec, en franchissant les ouvertures des bâtiments qui n’ont plus de portes, je crois bien les avoir rencontrés…
Cali – L’exil
merci pour ce petit bout d’histoire, et pour remettre quelques pendules à l’heure…
La France des braves gens était concernée par le drame espagnol. Quelque temps avant la 2ème guerre mondiale mes grands-parents avaient hébergé une réfugiée de Lerida. De retour au pays pour retrouver la famille, on n’a plus jamais entendu parler d’elle…
L’énumération de ces populations immobilisées, laissées en souffrance dans ce lieu de relégation montre le piétinement cruel de l’histoire et son aveuglement répétitif (qui ne sont peut-être que les nôtres). Le camp semble lui-même usé, effacé, par le passage du temps et des vagues successives de ces « réfugiés » . Au détours de ton texte, en nommant, enfin quelques uns de ces passants, tu leur redonnes des destins singuliers et tu sors de l’effacement ces vies anonymes et ce lieu précaire … Cela vaut pour tous les exils voués à l’oubli.
Un bout d’histoire vraiment instructif. Malheureusement, ceux de ma génération connaissent peu cette guerre, elle n’est pas vraiment dans nos programmes scolaires.
C’est bien là une part du problème Marion : elle ne l’a jamais été…
Petite rectification; sur la plage d’Argeles ce n’est pas 100 000 mais près de 150 000 personnes qui auraient été internés.
J’ai lu, il y a quelques temps, un ouvrage fort instructif sur ces camps d’internements et de travail situés dans l’Ardèche, la Drome et dans lequel il est questions aussi des camps que tu évoque.
C’est très instructif, mais surtout très terrifiant.
Pour ceux que ça intéresse voici les références: « Des indésirables », éditions Peuple libre et notre temps.
ANTONIN
Merci pour ces précisions Antonin.
Merçi de vous souvenir.
ferran VIÑAS-Martinez ( Retraité, double nationalité, Aix en Provence )
Pour en savoir un peu plus sur quelques facettes de la diaspora de 1939
vous pouvez commenter sur
http://hijosdelaretirada.blogspot.com
IL y a ici http://tempspresents.wordpress.com/?s=rivesaltes diverses études traitant de ce camp, du fait de deux historiens et d’un juriste. Nous attaquons bientôt une rubrique sur les documents d’archives de la Retirada.
Dans l »espoir que ça puisse vous apporter.
Cordialement
Merci pour ce lien. Au-delà de La Retirada et du camp de Rivesaltes, l’ensemble du site « Fragments sur les temps présents » est très intéressant. J’espère que vous ne verrez pas d’inconvénients à ce que je le mette en lien sur mon blog.
Fichtre non, c’est fort aimable.
tres belles photos. mais je voudrais des renseignement car ma grand mere recherche une famille avec qui elle était en camp a rivesalts. je ne sais comment chercher.
si vous pouviez me repondre ça m’aiderai peut etre à avancer.
je vous en remercie par avance.
@ gros panades
Vous aviez mis votre commentaire sur le billet suivant. Pensant qu’il s’agissait d’une erreur je l’ai reproduit ici.
Pour votre question, je ne suis pas une spécialiste de ces recherches. Je sais qu’il existe des archives du camp de Rivesaltes aux archives départementales des Pyrénées-Orientales. Quant à retrouver une famille aujourd’hui, vous devriez vous orienter vers un site plus spécialisé que celui-ci.
Je vais essayer de me renseigner. Si vous le voulez, vous pouvez m’envoyer un mail (boymottard@free.fr) et me donner des précisions sur les personnes que vous recherchez.
Je recherche des personnes ayant été internés à l’abbaye de noirlac dans le cher à St-Amand-Monrond en février 1939. Ma Grand-mère s’appelait Antonia VILAMANYA ma mère Elvire elle avait 10 ans, et mon oncle Patllari il avait 14 ans, merci
que dirait mon PERE aujourdh’ui disparu !
le froid l’humidité du sable d’ARGELES lui avaient rongé les os lui qui n’était pas épais et raccouci la vie , que pensait – il cet HOMME FIER & DIGNE du haut du PIC NEULOUS ( au dessus du PERTHUS 66 ) quand il voyait son village ( san clemen cessebes )à ses pieds ? il avait une sacré courage car je ne suis jamais arrivé à lui faire franchir la borne frontière qui est au sommet même pas du bout du pied ; qu’a- t – il pensé quand je lui ai dit que j’avais connu dans son village ( où je cherchais les tombes de mes grands parents ) un homme qui le connaissait bien …. ( le gars avait vendu ma famille aux falangiste et vendu sa propre soeur ) il connaissait le rgion ou il av fonder famille mieux que sa poche il venait dès l’ âge de 7/8 ans vendanger au pays à 10 kms ce qui sera son CAMP de CONCENTRATION , il aurait pu trouver refuge chez les gens alentour qui le connaissaient non il restera au camp avec ses camarades à se couvrir de coton souillé pour s’oter le froid de dessus ….
http://toniphotos.free.fr/campjoffre.php/
Un ami photographe à immortalisé le camp, en photos Noir et Blanc. Et je peux vous dire que c’est avec beaucoup d’émotion que l’on regarde ce travail.
et votre article est tout simplement magnifique !
Merci Tom pour ce lien. Les photos sont très belles. Pourquoi une photo en couleur au milieu des clichés en noir et blanc ? Y a-t-il une signification particulière ?
@ Gotas, j’espère que quelqu’un passant par là pourra vous aider dans votre recherche.
@ Helios, rude histoire que celle de votre père : vous devez être fier de ce qu’il était.
Bonjour,
C’est très bien ce que vous faites, honorer tous ces républicains espagnols et brigadistes, tous ces réfugiés si mal accueillis.
Je viens de lire « la retirada » de Josep Bartoli ( Actes sud ) super livre – BD à recommander.
Un jour j’irai voir les camps où ont vécu les 3 oncles de mon épouse…
Yvon Merle
Merci Yvon pour la référence : je vais m’empresser d’en faire l’acquisition.
Puis-je vous demander quels sont les camps où ont vécu les oncles de votre épouse ?
merci pour ce peit cour d histoire tres instructif !!!
70 ans, ils étaient là, à argeles d’abords sous le vent et le froid!! ! puis à rivesaltes!!
mamé et papé je vous aime!!!
BONJOUR, comme GOTAS, je suis aussi à la recherche de personnes internés à Noirlac. Je suis journaliste et je travaille sur un sujet pour mon journal, le quotidien le Berry républicain.
Voici mon mail. philippe.cros@centrefrance.com
Si le webmaster peut transmettre ce mail à GOTAS, dont je n’ai pas l’adresse, ce serait parfait
Merci d’avance
Philippe Cros
GOTAS
Je recherche des personnes ayant été internés à l’abbaye de noirlac dans le cher à St-Amand-Monrond en février 1939. Ma Grand-mère s’appelait Antonia VILAMANYA ma mère Elvire elle avait 10 ans, et mon oncle Patllari il avait 14 ans, merci
Pour GOTAS
qui recherche des personnes ayant été internées à l’abbaye de noirlac dans le cher à St-Amand-Monrond, en février 1939.
Ma Grand-mère y était avec ses enfants.
Aujourd’hui, il ne reste plus que ma tante de plus de 80 ans qui en témoigne pour ma famille.
De ses témoignages, je suis en train d’écrire un livre.
Nos familles, grand-mère, père, mère, oncle et tante, y étaient en même temps…
Bien à vous
Bonsoir Dominique,
Bravo pour votre blog !
Je suis photographe independante et je travaille depuis 2005 sur le camp de Rivesaltes. Vous pouvez voir une partie de ces images sur mon site internet. Il n’est pas tout a fait a jour car je viens de faire une exposition, avec le soutien de la region languedoc roussillon, sur les principaux camps du sud de la france où ont été les republicains espagnols. Je travaille egalement avec la cimade de perpignan et cette annee nous proposerons une exposition sur le camp de Sainte Livrade dans le Lot, eh oui en 2009 des gens vivent encore dans des camps depuis 1956, la population indochinoise, epouses et enfants de militaires francais …
Je cherche à faire tourner ces differentes expositions. Si vous avez besoin de renseignements je reste a votre disposition.
Bien cordialement
Nicole
La vie est parfois bizarre !
Fils de réfugié espagnol, mon père m’avait parlé (très peu) de son arrivée en France : D’abord parqué sur la plage, derrière du grillage, avec la mer pour seul endroit pour « ses besoins », puis le camp de Rivesaltes d’ou il était parti pour le centre de la France.
Ce camp d’internement, je passais régulièrement à coté sur l’autoroute, sans m’y intéresser plus que ça.
Et puis voilà qu’il y a quelques semaines j’ai travaillé sur place pour les premiers travaux en vue de conserver ce lieu de mémoire. La conservation de quelques barraquements encore debout et la protection de ce qui reste des autres.
Il était temps : la nature, les squaters semblaient résolus à s’allier pour faire complètement disparaitre
Heureuse de savoir que les travaux ont commencé : j’avais eu des nouvelles inquiétantes lors d’un récent séjour sur place.
« Camp de concentration »
Yes. That is what it was. Thank you for calling it by it’s proper name. « Internment camp » is a euphamism which disgusts me..
There wasn’t enough food, there was sickness, there was death. Then there were trains for the more undesirable undesirables.
My Grandfather was a prisoner there. Also Septfonds. A Spanish Republican betrayed by a French Republic. He escaped and went on to work in the resistance.
He became a « terrorist ».
Merci.
(Desole, c’est en Anglais.)
Ma femme Liberta Ferras a passait 3ans dans le camp de Rivesalte ainsi que sa mère et son frère. Elle possède un document de son passage dans ce camp
David, Pestana, merci pour vos témoignages.
[…] En mai 2008, suite à une visite du camp Joffre de Rivesaltes, j’avais rédigé un billet sur ce blog. […]
pour catou
Je reviens sur ce site de longs mois après avoir commencé mes recherches, et j’ai lu votre message;
Vous parlez de votre tante de 80 ans qui se souvient, ma maman, qui en a 82, perd la mémoire et elle est la seule survivante. J’aimerais beaucoupe que vous me contactiez.
Merci et à bientôt j’espère !
Does anybody knows where to find 0n-line the list of detained persons at Rivesaltes? I learned that my grandfather was there, I have his fiche number and would like to find out what happened. Thanks!
[…] dans les Pyrénées Orientales, j’avais écrit un billet sur le camp Joffre intitulé “Le camp de Rivesaltes et la Retirada“, illustré par des photos prises sur […]
Mon père est peut-être passé par ce camp là, il ne se souvenait plus et comme il n’est pas sur la liste de Barcarés il est peut-être sur celle de Rivesaltes, savez-vous où je peux la trouver ? Comme témoin indirect, je viens de témoignée dans un film documentaire d’Anne Lainné qui est passé pendant la semaine de la mémoire de la ville d’Ivry-sur-Seine où mon père fut accueillit après encore 5 ans au camp d’extermination de Mauthausen en tant d’apatride républicain espagnol. En allant sur le site des archives d’Ivry et à semaine de la mémoire vous pouvez voir un extrait du film.
Avec mes remerciements et mes compliments pour votre blog.
José Fransois moyano
[…] commémore quelques uns des épisodes les plus douloureux de la Retirada (voir mes billets du 5 mai 2008 et du 26 décembre […]
j’ai pu lire votre histoire qui me touche a chaque fois que je lis l’histoire de l’Espagne. depuis quelques années je fais des recherches généalogiques sur ma famille car en effet nous arrivons de la régions d’alcoy (benimarfull et pego prés de denia) je n’ai que 3ans mais j’attache une importance a mes origines car même si mon grand père et venu en France pour que sa descendance soit libre cela n’a pas été comme voulait. depuis il n’a pu rentrer chez lui et de la famille est partie sur Caracas sans venir en France. je ne sait pourquoi mais j’ai l’impression d’en souffrir et de ne pas être a ma place .je vis entre nimes et Montpellier mais il me faut aller de temps en temps ne serais ce qu’a Barcelone pour me ressourcer mais au retour l’estomac se serre ,les yeux s’inonde et mon cœur se déchire…car je sais que je pars de chez moi… c’est lourd a porter car chaque jours qui passe me dit que je passe a cotes de ma vie mais seulement avec la crise ce n’est pas le moment! mais cette voix me dit rentre a la maison il est temps,que faire je suis si dépourvu . je voulais vous remercier pour votre histoire et ainsi que toutes ces personnes qui n’ont pas oubliaient et qui ne veulent pas oublier car eux quand ils ont fuient ils ont pensaient a nous. muchas gracias por todo y a todos. David rey sanz
C’est vous que je remercie Rey pour votre témoignage qui démontre, si on n’en était pas convaincu, du lien très fort qui continue à lier les descendants des familles qui ont vécu la Retirada avec leur pays d’origine, et de la douleur encore si présente chez nombre d’entre eux.
[…] avait fini par ouvrir des camps de réfugiés dont on n’a pas lieu d’être fiers (voir le blog de Dominique), de très nombreux Français avaient accueilli des réfugiés Républicains. À Cruzille, petit […]
[…] moi qui ai toujours été émue par ce drame (voir, par exemple, mes billets Le camp de Rivesaltes et la Retirada en 2008 ou La mémoire de la Retirada en 2013), il n’était pas question de ne pas participer à […]
[…] nous visitons fréquemment le site-mémorial de Rivesaltes. Et cela depuis fort longtemps (voir le billet de Dominique du 5 mai 2008, référencé dans de nombreux sites spécialisés). C’est que ces visites sont […]