Intense moment d’émotion ce jeudi. À l’initiative du Comité Yad Vashem, on dévoilait une stèle sur laquelle étaient inscrits les noms de déportés juifs qui furent raflés en 1943 à la maison de retraite « Villa Jacob ».
La stèle dévoilée est une copie de la stèle originale, qui était à côté, reposant sur le sol, en trop mauvais état (pour l’instant) pour être redressée. Disparue depuis plusieurs années, elle a été retrouvée, il y a quelques mois, brisée en plusieurs morceaux dans un bois à Vence par un joggeur….
En cette circonstance, représentant la seule famille qu’on a pu retrouver ayant un lien avec ces déportés, j’ai pris la parole, avant les « officiels » et en présence de Beate et Serge Klarsfeld, pour apporter un témoignage personnel : le nom de mon arrière-grand-mère, Flora Lattès (épouse Cériché) figure en effet dans cette liste.
Voici les mots que j’ai prononcés :
« Mesdames et Messieurs,
Je voudrais en tout premier lieu remercier ceux qui agissent sans relâche pour que ne soient pas oubliés toutes celles et tous ceux qui ont si dramatiquement disparus lors du génocide perpétré par les nazis lors du dernier conflit mondial. Parmi ceux qui ne ménagent ni leur temps ni leur énergie, je voudrais citer Daniel Wancier, président du comité Yad Vashem Nice Côte d’Azur qui m’a demandé de prendre la parole aujourd’hui.
Plus particulièrement, concernant la cérémonie de ce jour, je crois que nous devons rendre hommage à ce joggeur qui, tombant sur la plaque brisée de la Villa Jacob dans les bois d’un massif forestier à Vence, a eu le bon réflexe d’en faire part au comité.
Lorsque j’ai lu l’article de Nice-Matin consacré à cette découverte, cela m’a fait un choc. Bien sûr, je n’ai pu manquer de me demander – comme tous les lecteurs, je crois – comment il était possible que quelqu’un l’ait jetée là tellement d’années après sa disparition du lieu où elle avait été apposée. Cela a peut-être été un mal pour un bien puisque nous sommes là aujourd’hui et que la plaque va retrouver sa destination première.
Au-delà du choc de la découverte, j’ai été envahie par l’émotion. Parmi les noms des pensionnaires raflés ce 21 novembre 1943 figurait celui de mon arrière-grand-mère, la mère de ma grand-mère paternelle. Pourquoi était-ce aussi important ? Parce que si je n’ignorais rien de sa mort en déportation, je ne savais qu’elle avait été raflée à la Villa Jacob que parce que l’information nous avait été transmise par mon père : lui et sa mère avaient tenté de lui faire quitter en vain la maison de retraite au moment où l’occupation allemande avait remplacé l’occupation italienne. Mais nous n’avions aucun élément, aucun écrit, confirmant cela.
Ma grand-mère parlait assez peu de ce passé douloureux. Il faut dire que sa jeunesse avait été marquée par de nombreux drames, un mari mort pendant la 1re guerre mondiale, un second mari disparu peu après, un fils décédé en 1940, et donc sa mère déportée en 1943. J’avais essayé à plusieurs reprises d’en parler avec elle, déjà âgée, mais elle était très réservée sur le sujet. J’avais finalement laissé tomber le jour où elle avait mis fin à mon ultime tentative en me disant d’arrêter de me tourner vers le passé et en ajoutant : « tu ferais mieux de t’occuper de bonnes œuvres… ! »
Si je n’en ai plus parlé avec elle, je n’ai pas pour autant cessé d’y penser. Et quelques années plus tard, à l’occasion d’un séjour en Israël, je me suis rendue au Mémorial de Yad Vashem. Ce fut pour moi un moment décisif : je crois que c’est là, en 1992, que l’histoire de ma famille a cessé d’être une histoire personnelle. Je ne suis pas juive : mon arrière-grand-mère avait épousé un catholique. Mais ce jour-là, l’histoire des Juifs est devenue un peu la mienne. Et quand je suis rentrée à Nice, j’ai décidé de remplir une feuille de témoignage : son nom se trouvait donc désormais mêlé en ce lieu symbolique à ceux des millions de juifs exterminés.
Je me dois de dire aussi que ma sensibilisation à cette période terrible a été accentuée par l’histoire familiale de mon époux qui est devenue aussi la mienne. En effet, le grand-père de Patrick, résistant, est mort en déportation (passé par Auschwitz, il est décédé en Tchécoslovaquie) et son père, René, alors très jeune homme, est rentré des camps très gravement malade : il a vécu toute sa vie dans un fauteuil roulant.
Lorsque j’étais conseillère générale, c’est avec conviction que j’ai participé ainsi que Patrick à plusieurs des voyages de la Mémoire organisés pour les collégiens vers Auschwitz par le département des Alpes-Maritimes, des déplacements initiés par M. Christian Estrosi et poursuivis ensuite par M. Eric Ciotti. Comment ne pas être bouleversée en arrivant au bout de la voie de chemin de fer interne à Birkenau, sur le quai de la solution finale ? Là encore, mon histoire personnelle se nourrissait de celle de l’ensemble du peuple juif (et inversement) : j’étais à l’endroit même où mon arrière-grand-mère, âgée de 74 ans, était arrivée pour y mourir le 12 décembre 1943 avec le convoi parti de Drancy – où les pensionnaires de la Villa Jacob avaient été conduits – le 7 décembre 1943.
Mais en dehors de cette information officielle, j’avais toujours peu d’éléments personnels sur mon arrière-grand-mère. Et tout ce que j’ai pu apprendre est un peu le fruit du hasard. Mais sans doute d’un hasard qui venait d’autant plus facilement à moi que j’étais toujours en alerte.
Ainsi, le lundi 8 mai 2006, j’étais à la synagogue de la rue Deloye où la communauté juive de Nice rendait hommage à Marcelle Cohen, notre compatriote victime d’un attentat terroriste en Israël. C’était la première fois que j’y entrais et mon émotion en cette circonstance fut d’autant plus forte que j’ai retrouvé, sur la plaque commémorative des victimes niçoises de la Shoah, le nom de mon aïeule, ce dont personne n’était au courant chez moi. Je suppose que cette inscription était le fait de ma grand-mère, sa fille, mais elle n’en avait jamais parlé.
Les années passèrent. Toujours à la recherche d’informations, je me suis rendue au cimetière de Cuneo d’où elle était originaire à la recherche de l’éventuelle sépulture de ses parents. Je ne l’ai pas trouvée : il faut dire que de nombreuses tombes du cimetière juif sont en bien mauvais état et que plusieurs noms sont effacés. Mais grâce à l’aide de Lucien Samak qui m’a donné un contact dans le Piémont, il n’est pas impossible que les choses avancent.
Pour autant, je désespérais d’avoir des informations plus précises confirmant la présence de notre ancêtre à la Villa Jacob au moment de sa déportation lorsque mon ami, Maurice Winnykamen ici présent, qui connaissant bien mon histoire, me signala qu’il avait pris connaissance du rapport officiel de la Gendarmerie nationale française, intendance régionale de la police de Nice, rapportant les arrestations de « 15 vieillards » à la Villa Jacob le 21 novembre 1943. Toujours pas le nom de ma bisaïeule mais, au détour d’une phrase, après l’énumération de 14 noms, il est fait état d’une « autre octogénaire arrêtée ». Pour lui, il ne pouvait y avoir de doute, il s’agissait bien d’elle. Et il en a parlé dans son remarquable ouvrage de témoignages « La colline ».
Mais toujours pas de nom… Jusqu’à ce 3 février 2016 où j’apprends dans la presse la découverte de la plaque. Ce n’est pas grand-chose un nom sur une plaque mais pour moi ça signifiait beaucoup.
Mon ancêtre s’appelait Flora LATTÈS, épouse CÉRICHÉ. Quand elle s’est mariée, elle est venue s’installer à Nice et elle a passé les dernières années de sa vie à la villa Jacob. Fille de Gabriele et Rosa LATTÈS, elle était née le 12 mai 1869 à Cuneo. Elle était Italienne. Et juive.«
Merci Dominique pour ce récit riche, fort et très émouvant pour le lecteur. Alors, on essaie d’imaginer pour toi. Amitiés.
Merci Claudio. Amitiés.
Beau texte, belle histoire et beaucoup de souvenirs pour moi qui ait longtemps vécu à coté de la Villa Jacob. Mes parents y habitent encore !
Tres émouvant merci pour ce récit-mémoire. Il n y a pas de hasard que des rencontres
Texte très émouvant Dominique… Qu’elle repose en paix.
Emouvant d’apprendre une part de ton histoire familiale qui t’a « fondée ». Au passage, d’une certaine façon, tu as écouté le conseil de ta grand-mère…
Des moments terribles vécus durant cette guerre qui a emporté tant de familles. Je comprends votre émotion Dominique.
Je suis très émue par votre histoire. La vôtre et celle de Patrick. La vigilance est de plus en plus de mise en çes temps troublés.
[…] Moment d’émotion au cours de ce conseil quand nous avons acté la construction d’un mur des déportés sur la colline du Château où seront répertoriés les noms des déportés niçois victimes de la barbarie nazie. Moment d’émotion car il m’a permis de me souvenir à voix haute des voyages de la Mémoire effectués à Auschwitz et de la cérémonie de la Villa Jacob où j’avais pu rendre hommage publiquement à mon arrière-grand-mère. […]
[…] Moment d’émotion au cours de ce conseil quand nous avons acté la construction d’un mur des déportés sur la colline du Château où seront répertoriés les noms des déportés niçois victimes de la barbarie nazie. Moment d’émotion car il m’a permis de me souvenir à voix haute des voyages de la Mémoire effectués à Auschwitz et de la cérémonie de la Villa Jacob où j’avais pu rendre hommage publiquement à mon arrière-grand-mère. […]
[…] Son souvenir a récemment refait surface à travers une improbable anecdote. Un jogger en 2016 a en effet trouvé en forêt près de Nice des débris d’une plaque de marbre avec les noms de plusieurs victimes déportées. Cette plaque ornait la « Villa Jacob » de Nice, maison de retraite israélite qui fut raflée en 1943 et dont Jules fut le « dévoué médecin ». Cette plaque a vraisemblablement été jetée lors de la destruction de cet établissement dans les années 1980. Une cérémonie a récemment honoré ces déportés à l’occasion de cette redécouverte (plus de détails sur cette découverte ici ou ici). […]