La réforme en cours de la procédure pénale a fait couler beaucoup d’encre et précipité tout le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice dans la rue : voir défiler côte à côte magistrats et avocats n’est pas si fréquent, voir réunis tous les personnels du ministère de la justice non plus (personnel pénitentiaire, greffiers, fonctionnaires de la PJJ…). Les critiques se sont surtout focalisées sur la suppression du juge d’instruction et son remplacement par les membres du parquet soumis au pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux. J’avais moi-même fait quelques remarques, à plusieurs reprises, sur la question.
Un autre aspect de la réforme, jusque-là resté assez confidentiel, vient de faire son entrée dans le débat. Il s’agit de la réforme de la prescription des délits et des crimes. Les délais seraient portés de trois à six ans pour les premiers (quand ils sont punis d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement) et de dix à quinze ans pour les seconds.
L’objet de ce billet n’est pas de débattre sur les raisons de l’existence de la prescription qui conduisent, au bout d’un certain temps, à privilégier l’oubli à ce qui pourrait paraître injuste, mais de mettre l’accent sur les conséquences, dans certains domaines, du projet de réforme.
Le texte prévoit, en effet, que le point de départ du délai est, dans tous les cas, la date où l’infraction a été commise. Une seule exception est prévue : pour les crimes consistant en une atteinte à la vie, le délai de quinze ans partirait de la date à laquelle les faits ont pu être portés à la connaissance de l’autorité judiciaire, ce qui élargit les possibilités de poursuite.
Et c’est dans un sens tout à fait inverse que le droit actuel de la prescription est modifié s’agissant de certains délits commis en matière financière. Actuellement, ces délits (corruption, abus de biens sociaux…), soumis comme les autres à la prescription de trois ans, ont, par contre, la particularité de voir le point de départ du délai retardé à la date à laquelle à laquelle les faits ont pu être constatés. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ont pour caractéristique commune d’être des délits cachés, que l’on ne découvre souvent que bien des années après qu’ils ont été commis. Cela a pu permettre, par le passé, de poursuivre ces infractions parfois très longtemps après les faits.
Depuis de nombreuses années, le monde des affaires fait pression pour obtenir une modification de cette jurisprudence et demande que le point de départ du délai soit, comme pour les autres infractions, la date de la commission de l’infraction, pensant ainsi bénéficier, dans de nombreux cas, d’une immunité de fait. Il n’a pas obtenu jusqu’alors un grand succès, même si quelques atténuations sont intervenues. Mais le nouveau projet est sur le point de leur donner satisfaction. Certes, le délai de prescription passe, pour tous les délits les plus graves, à six ans, mais aucune exception quant à son début n’est prévue pour les délits financiers. Concrètement, cela signifie que des « affaires » importantes pourraient se trouver prescrites avant d’avoir pu faire l’objet de poursuites (il n’est pas rare que celles-ci interviennent huit ou dix ans après les faits car on n’a pu les connaître que tardivement).
Ce qui est le plus contestable, c’est le « deux poids deux mesures ». Dans un contexte politique sécuritaire qui milite pour un renforcement de la répression, on adopte un système qui épargne les milieux financiers et qui, dans certains cas, pourra conduire à l’impunité dans les affaires politico-financières. Avec lui, il n’y aurait pas eu d’affaire Elf (enfin, il y aurait bien eu une affaire, mais une partie des faits aurait été prescrite). Idem pour les frégates de Taïwan. Idem pour l’Angolagate…
Ce n’est pas vraiment nouveau. Depuis quelques années, on a tout fait pour limiter les sanctions en la matière (contrairement aux affirmations de sévérité pour moraliser la finance qui ne sont, les plus souvent, que des déclarations d’intention dans un but de communication) : le nombre des enquêtes policières a diminué ainsi que celui des affaires transmises à la justice, les effectifs des brigades financières de la police judiciaire ont été affaiblis…
Nos dirigeants ont toujours eu une faiblesse coupable envers les délinquants en col blanc, ce qui participe au sentiment de méfiance de nos concitoyens. Et ce n’est pas avec cette réforme de la procédure pénale qu’on va réconcilier les Français avec leur justice.
Ouais bof, nos concitoyens eux-mêmes s’accommodent de bien des errements…. Je reste encore abasourdie par le nombre de fois où j’ai entendu, après l’interpellation d’un sbire appartenant à l’équipe dirigeante d’une municipalité du coin:
« oui bon, 100 000 euros de détournement, c’est pas la fin du monde non plus. »
Bonne nouvelle : suite à l’avis rendu le 16 avril par les magistrats du siège et du parquet de la Cour de cassation, la garde des sceaux a renoncé à modifier le point de départ du délai de prescription en matière d’abus de biens sociaux.
Selon la haute juridiction, cette modification « serait contraire aux impératifs de lutte contre la grande délinquance ».