Nous retrouvons le bon juge Magnaud du tribunal de Château-Thierry avec une nouvelle cause : celle des femmes. En effet, non seulement il avait eu à cœur de relaxer une voleuse de pain, non seulement il avait refusé de condamner des personnes poursuivies pour vagabondage et complicité, mais il avait aussi, en cette fin de 19e siècle, pris fait et cause pour la condition féminine.
L’ouvrière séduite et abandonnée par le fils de son patron
Eulalie Michaud ayant été abandonnée, enceinte, par le fils de son patron, avait croisé celui-ci dans la rue en galante compagnie. Elle le blessa alors légèrement d’une pierre. Suite à la plainte de « la victime », le juge Magnaud se contenta de condamner celle qui l’avait agressé à une peine d’un franc d’amende avec sursis. Là encore, son argumentation vaut le détour : il considéra « qu’à l’audience, l’attitude d’Eulalie MICHAUD a été excellente et qu’elle a exprimé tous ses regrets de n’avoir pu résister à un mouvement d’emportement déterminé par le spectacle, si pénible pour son coeur de femme et de mère, auquel elle venait d’assister ; qu’il n’en a pas été de même du plaignant « don Juan de village », qui, au lieu de racheter son odieuse conduite en se montrant très indulgent pour celle à qui il avait promis de donner son nom, a poussé l’infamie jusqu’à tenter de la faire passer pour une fille de mauvaises moeurs, alors que le maire de la commune atteste, au contraire, qu’elle mène une vie des plus régulières ».
Et mieux encore, il va confier la jeune mère à un avoué pour qu’elle intente une action en dommages-intérêts pour rupture de promesse de mariage. C’est encore lui qui jugera cette deuxième affaire le 23 novembre 1898 accordant l’indemnisation demandée ainsi qu’une rente réversible sur la tête de l’enfant jusqu’à sa majorité. Gageons que le fils de bonne famille a dû se mordre les doigts d’avoir mené la première affaire jusqu’au tribunal du Président Magnaud !
La fille-mère accouchant clandestinement et provoquant la mort de son enfant
Une jeune-fille avait accouché seule et laissé mourir cet enfant d’hémorragie, faute de ligature du cordon ombilical. S’agissant d’un infanticide (donc d’un crime), l’affaire aurait dû être jugée aux assises. Cependant, les jurys, dans ce type de circonstance (infanticide commis par une mère célibataire), avaient tendance à prononcer des acquittements. Aussi le Parquet avait-il pris l’habitude de qualifier ces faits d’homicide par imprudence. La qualification n’était plus dès lors criminelle mais délictuelle et c’était le tribunal correctionnel, composé uniquement de juges professionnels, qui était saisi du dossier. C’est la raison pour laquelle notre bon juge se trouva conduit à juger la jeune femme.
Là encore, il assortit la peine d’un sursis en retenant des circonstances atténuantes, dans un jugement ainsi motivé : « Si la société actuelle n’avait pas inculqué et n’inculquait pas aux générations qui la composent, le mépris de la fille-mère, celle-ci n’aurait pas à rougir de sa situation et ne songerait à le cacher ; que c’est donc à la société contemptrice des filles-mères et si pleine d’indulgence pour leurs séducteurs qu’incombe la plus large part des responsabilités dans les conséquences, si souvent fatales pour l’enfant, des grossesses et accouchements clandestins ». Plus loin, il regrettait que la jeune femme « n’ait pas eu assez d’indépendance de caractère et de coeur pour s’élever au-dessus d’aussi déplorables préjugés, causes de tant de crimes et de délits contre l’enfance ». Car, pour lui, « la fille-mère qui pratique toutes les vertus maternelles mérite d’être d’autant plus respectée qu’elle est presque toujours seule à supporter toutes les charges de sa maternité. »
Depuis le Code pénal (1810), l’avortement était considéré comme un crime en France. Il fallut attendre le 17 janvier 1975 pour que soit promulguée la loi Veil qui dépénalisait l’IVG…
La femme adultère
En ce tout début de 20e siècle, la France vivait encore sous le régime du divorce pour faute et l’adultère était une infraction pénale (anciens articles 337 à 339 du code pénal) sanctionnée inégalement pour la femme (peine de prison) et pour l’homme (simple amende, et encore uniquement si le délit était accompli au domicile conjugal…). Le juge va là encore se singulariser en refusant de réprimer pénalement l’adultère, en estimant, dès le 6 février 1903, que « le devoir d’un juge est de laisser tomber en désuétude jusqu’à son abrogation une loi si partiale et d’un autre âge ». Dès lors, il considéra qu’il n’était pas dans l’intérêt des époux qui voulaient se séparer de faire procéder à des enquêtes pour prouver leurs torts respectifs. Constatant donc que « les parties sont d’accord pour que le lien matrimonial qui les unit soit rompu » et que « si le divorce par consentement mutuel n’est pas encore inscrit dans la loi, le tribunal, pour bien apprécier la situation respective des époux, ne doit pas moins tenir le plus grand compte de l’expression de cette volonté, deux êtres ne pouvant être malgré eux enchaînés à perpétuité l’un à l’autre », il prononça le divorce aux torts réciproques, sans qu’il soit besoin de procéder à un déballage public de ceux-ci.
Ces sages propos ne furent pas entendus de sitôt par le législateur puisqu’il fallut attendre… 1975 pour que l’adultère soit dépénalisé dans notre droit et que le divorce par consentement mutuel voie le jour. A la lecture des dispositions légales de l’époque, on peut réaliser à quel point le Président Magnaud était en avance sur elles , même s’il était en phase avec les mœurs de son temps.
Voici le contenu des anciens articles du code pénal sur la question (il faut avoir conscience que ces textes étaient en vigueur jusqu’en 1975, même si leur application s’était assouplie) :
ARTICLE 324
Le meurtre commis par l’époux sur l’épouse, ou par celle-ci sur son époux, n’est pas excusable, si la vie de l’époux ou de l’épouse qui a commis le meurtre n’a pas été mise en péril dans le moment même où le meurtre a eu lieu.
Néanmoins, dans le cas d’adultère, prévu par l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable.
ARTICLE 337
La femme convaincue d’adultère subira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus.
Le mari restera le maître d’arrêter l’effet de cette condamnation, en consentant à reprendre sa femme.
ARTICLE 338
Le complice de la femme adultère sera puni de l’emprisonnement pendant le même espace de temps, et, en outre, d’une amende de cent francs à deux mille francs.
Les seules preuves qui pourront être admises contre le prévenu de complicité, seront, outre le flagrant délit, celles résultant de lettres ou autres pièces écrites par le prévenu.
ARTICLE 339
Le mari qui aura entretenu une concubine dans la maison conjugale, et qui aura été convaincu sur la plainte de la femme, sera puni d’une amende de cent francs à deux mille francs.
Quel sagesse d’esprit et quel courage pour l’époque ! (un courage qui manque aujourd’hui…)
Ces exemples sont une preuve que quand un jugement se fait par le bon sens qui agit « tout simplement » avec la logique du coeur et de la raison il ne peut être que JUSTE !
Merci pour cet éclairage…
La sagesse, le courage et le bons sens du très bon juge Magnaud devraient pris en exemples par les juges de notre époque.
Car aujourd’hui, il y a deux justices.
Il faudra un jour que l’on m’explique pourquoi le voleur de poules aurait écopé de la prison ferme, quand le maire (UMP) de Sannois (Val-d’Oise) Yanick Paternotte, soutien de Jean-François Copé et président de la contestée Commission nationale des recours de l’UMP, a été condamné jeudi dernier pour des faits très graves (abus de faiblesse) à seulement quinze mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité par le tribunal correctionnel de Nanterre.
La sagesse n’a pas de siècle, et, malheureusement, l’ignorance, aussi.