
Seward, Kenai
A l’approche de la fin de ce voyage, qui semble coïncider avec une rapide entrée dans l’automne, je réfléchis à ce que je vous ai raconté. Pendant que nous roulons vers Anchorage et que la pluie tombe, je pense à ce que j’aurais pu vous dire d’autre.
J’aurais pu vous dire que ce sont toutes les routes qui sont intéressantes ici, y compris celles dont je ne vous ai pas parlé – les dernières – et qui nous ont conduits vers le Sud, dans le Kenai. La Richardson Hwy jusqu’à Valdez, et la Glenn Hwy de Tok à Anchorage, suivie des Seward et Sterling Hwy, au milieu des inévitables forêts d’épicéas aux confins desquelles veillent immobiles les montagnes dominatrices aux sommets enneigés, parsemées de glaciers. Des routes presque toutes en travaux, qui doivent être refaites chaque année pendant les quelques mois d’été. Et sur ces routes, des conducteurs (le plus souvent de 4×4 et de pick-up) toujours calmes, patients et respectueux et ces fabuleux camions qu’on ne peut croiser que dans les grands espaces.
J’aurais pu vous dire combien l’eau est présente partout, avec sa mer, bien sûr, mais surtout ses fleuves, ses lacs, ses rivières, ses cascades… Et qu’en fonction de l’environnement et de la couleur du ciel, leurs eaux peuvent être bleues ou noires, vertes ou argentées, transparentes ou boueuses.
J’aurais pu vous dire l’incroyable variabilité du temps. Même si nous avons eu beaucoup de chance (pas de pluie jusqu’à ces tout derniers jours), le ciel a le plus souvent été parsemé de nuages, certains gris et menaçants, d’autres blancs aux formes improbables se découpant sur le bleu de l’azur. Également, la forte variation des températures : d’une heure à l’autre on peut gagner ou perdre 20° F.
J’aurais pu vous dire l’omniprésence de ces fleurs parfois tellement roses qu’elles en deviennent rouges, ces différentes variétés d’épilobes qui nous accompagnent au bord de la route, qui tentent d’égayer la forêt sombre, qui nous enchantent sur les rives d’un lac ou les berges d’une rivière et nous surprennent au bas d’un glacier. Et la question que je ne cesse de me poser : que deviendra le paysage sans elles ?
J’aurais pu vous dire le bonheur d’apercevoir des animaux sauvages, le plus souvent au loin, un bonheur d’autant plus grand qu’il fut assez rare : les ours, les élans, les caribous… Et surtout, les mammifères marins, ceux avec lesquels nous fûmes finalement le plus en proximité. Dans la joie de les apercevoir, je me demande si la part la plus grande ne tenait pas à l’observation de l’émerveillement de mon compagnon de voyage, un émerveillement comparable à celui d’un enfant…
J’aurais pu vous dire l’angoisse qui vous étreint en pensant à ce qu’il va advenir dans quelques semaines de la vie dans ces petites bourgades qui vous donnent tellement l’impression d’être au bout du monde, un monde difficile auquel il faut sans nul doute être préparé. C’est pourquoi assez nombreux sont ceux que nous avons rencontrés qui nous ont confié aller passer l’hiver loin d’ici, souvent en Arizona.
J’aurais pu vous dire à quel point les Alaskiens se montrent incapables de manifester la moindre originalité dans le choix des noms de lieux (ils partagent ça avec la plupart des états US…) : Moose River, Caribou Creek, Bear Mountain, Pine Lake… Parfois cela peut conduire le voyageur peu vigilant à faire quelques erreurs : c’est ainsi que nous avons suivi désespérément une pancarte « Glacier view school », en pensant qu’elle nous conduirait à un magnifique point de vue sur le glacier local situé à côté de l’école… alors qu’il s’agissait du nom du village. Pareil pour les établissements accueillant du public : on ne compte plus les Mountain Lodge, Eagle Motel, River Café… Nous avons même rencontré une « No Name Creek » !
J’aurais pu vous dire l’hospitalité rugueuse qui vous est offerte dans des bars de nulle part sur des routes généralement désertes, avec leurs murs tapissés de dollars signés par les clients (nous avons signé le nôtre). Je me souviens particulièrement de trois d’entre eux. Le Gracious House Lodge sur cette route en terre qu’est la Denali Hwy où un vieux cowboy un peu bourru nous a servi les meilleures pies du voyage. Le Skinny Dick’s, près de Nenana où une rockeuse trentenaire, avenante et dynamique, nous a servi son café strong. Le Koidern River Lodge, dernier établissement avant la frontière (côté Canada), avec ce couple plutôt âgé dont la dame regardait son « funny Jack » avec les yeux de l’amour.
J’aurais pu vous dire tant d’autres choses encore sur tous ces gens d’un abord parfois un peu rude, à l’image de leur pays, mais finalement si friendly. À la réflexion, ils sont en fait très Américains, de ces Américains tels qu’on les aime. Pour le meilleur.
Je joins mes remerciements à ceux de Patrick pour toutes celles et ceux qui ont bien voulu nous suivre sur les routes pendant ces quelques jours.












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