Nous sommes bien loin des zones à risque, puisque nous longeons dans le sud la frontière avec la Roumanie marquée par une grosse rivière, la Tizsa. Cette même Roumanie où nous avions célébré il y a quelques jours, l’anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine, avec la population de Brasov et les nombreux réfugiés.
De manière un peu étrange, nous continuons notre voyage. Comme des touristes ordinaires en temps normal. Enfin presque.
La guerre est là, c’est indéniable. Elle se manifeste par une présence militaire peu importante mais régulière tout au long de la route et par les contrôles dont les véhicules font l’objet. Également par des opérations de camouflage à certains endroits sans doute stratégiques, des fils de fer barbelés à d’autres. Ces militaires, qui ne sont pas des professionnels, sont bien jeunes. Mis à part l’uniforme, ils ressemblent à des civils.
La géographie n’a pas toujours de frontières naturelles surtout dans des régions qui, au fil des siècles et des années, se sont retrouvés sous l’autorité de divers occupants. C’est ainsi que de ce côté-ci de la frontière on peut continuer à visiter la Bucovine ou les Carpates abordées en Roumanie. L’Ukraine s’est beaucoup développée depuis notre dernière visite. En témoignent les nombreuses constructions neuves de maisons individuelles dans les villes et villages que nous traversons. Nombre d’entre elles ne sont pas terminées, comme si les travaux avaient été brutalement interrompus. Peut-être par les départs à la guerre des propriétaires ? des constructeurs ? Nous avons même traversé des villages où il n’y avait pratiquement personne, dont les maisons souvent neuves avaient les volets fermés, un peu comme des résidences secondaires non utilisées.
Sur la route, ici comme ailleurs, on a souvent la chance de voir des choses qui nous surprennent. S’arrêter pour prendre un café ou pour déjeuner sur le pouce dans un établissement isolé peut révéler des atmosphères ou des décors étonnants. Ainsi, ce bar country dans lequel nous étions les seuls clients. De l’extérieur, on aurait pu penser se trouver aux États-Unis si ce n’était les inscriptions en alphabet cyrillique. L’intérieur était de la même veine : petit bar avec images de rodéos, photos de films, cornes d’élan sur le mur, chapeau de cow-boy, dessins d’Indiens… Alors que nous allions partir et voyant l’intérêt que nous manifestions pour les lieux, la jeune femme qui nous avait servis, nous rappela. Elle ouvrit une double porte au fond du bar et nous nous trouvâmes un peu ahuris face à une immense salle de danse. Et d’imaginer l’ambiance qu’il pouvait y avoir là en soirée avec des Ukrainiens convertis au folklore américain tapant des pieds sur le plancher avec leurs Santiag et Stetson sur la tête. En voyant toutes les chaises empilées les unes sur les autres dans un coin, j’ai réalisé que ce genre de soirée ne devait plus vraiment se produire : les cavaliers potentiels étaient sans doute loin d’ici.
Autre lieu, autre ambiance, autre style. En consultant, un vieux guide de voyage, nous avions appris que notre circuit allait nous permettre de passer par une petite ville à proximité de laquelle se trouvait le point central de l’Europe ! Enfin, l’un des centres géographiques de l’Europe… car il nous était déjà arrivé de tomber sur des sites revendiquant le même titre plus au nord (notamment du côté de Vilnius en Lituanie si mes souvenirs sont bons). Celui-ci, à Dilove, avait été mesuré par des scientifiques austro-hongrois en 1887. Évidemment, quelques boutiques de souvenirs et un café-restaurant se trouvaient à proximité. Ce dernier valait le détour avec sa décoration typiquement ukrainienne. Il faut dire que nous sommes au coeur des Carpates, le pays des Houtsoules, ces montagnards qui ont donné à l’Ukraine son artisanat coloré (Patrick n’a pu s’empêcher d’acheter une magnifique paire de chaussettes… qui lui sera bien utile lors des rudes soirées d’hiver à Nice !). Dans le café, une bande de touristes tchèques, au demeurant plutôt sympathiques, s’étaient arrêtés pour déjeuner. Quelques-unes des femmes du groupe s’étaient mises à danser sur de la musique folklorique quelque peu mise au goût du jour diffusée par la sono.
Bien sûr, la vie continue. La leur, la nôtre.






