En ce premier jour d’automne, nous avons accompagné notre ami Maurice Winnykamen pour son dernier voyage. Les différentes interventions faites par ses proches lors de la cérémonie ont permis de mettre en lumière toutes les facettes de l’homme remarquable qu’il était. J’avais eu plusieurs fois l’occasion de m’exprimer à son propos sur ce blog en diverses circonstances (Maurice Winnykamen, où l’on découvre le poète ; Israël, l’autre conflit, le militant de « La Paix maintenant », Elle s’appelait Flora Lattès et elle vivait à la Villa Jacob, l’infatigable chercheur de témoignages sur la déportation ; Sur les traces du capitaine Winny, le marin). C’est que Maurice était avant tout un militant politique et associatif doublé d’un écrivain. Et il a même tenu un blog de 2011 à 2017.
Son intelligence, ses passions, son élégance, sa courtoisie, et surtout sa fidélité en amitié vont cruellement nous manquer.
Pour lui rendre hommage, je republie ce billet écrit en 2013 : Maurice, citoyen du monde
À la suite de ce billet, il m’avait laissé un commentaire que j’ai eu également envie de reprendre tant il est significatif de l’homme délicat qu’il était.
Ce soir, Maurice Winnykamen présentait, dans le cadre accueillant du MUSEAAV, son ouvrage « Enfant caché – Hommage et malentendu ».
Je le remercie de m’avoir demandé d’animer cette présentation qui m’a permis de me replonger dans ce texte tour à tour drôle et dramatique et toujours touchant.
Maurice y retrace sa vie d’enfant caché, d’enfant juif qui ignorait, plus ou moins, qu’il était juif, entre 1940 et 1945 (de 8 à 13 ans). Pendant cette période, il aura deux familles : sa famille naturelle, avec des parents juifs engagés dans la Résistance qu’il entraperçoit par moments, quand ils peuvent lui rendre visite, et sa famille d’accueil, la famille Pegaz, où il sera Marcel, dans ce village de Savoie qu’il a tant aimé, qu’il aime tant : Le Montcel.
Ce texte est autobiographique, mais Maurice a manifestement tenu à en élargir le propos par l’analyse, la réflexion, au-delà des souvenirs de l’enfant. Quand on se tourne ainsi vers le passé, un passé qui mêle histoire personnelle et histoire collective, il n’est pas toujours évident d’en rendre compte. Il faut faire appel à la mémoire. Et voici comment il analyse ce qu’est la mémoire : « La mémoire ressemble à un escalier double en colimaçon. Les souvenirs et le savoir devraient monter, chacun de son côté, à la même vitesse, sous les marches spiralées. Ce n’est pas le cas ». Et d’expliquer que l’un prend toujours le pas sur l’autre. Et tant que les deux ne se rejoignent pas la mémoire est parcellaire. Pour autant, quand ils se rejoignent, ils ne sont pas forcément convergents. Mais ce n’est pas grave car de cette contradiction naît le débat interne qui permet à l’être d’évoluer, de vivre tout simplement.
La vie d’enfant de Marcel durant cette période – et Maurice le dit sans fard – est une vie heureuse d’enfant vivant à la campagne. Il travaille aux champs, à la ferme, va à l’école, au catéchisme… Une vie normale. Presque normale, car il ne doit jamais oublier de mentir sur ce qu’il est, sur son identité. Jusqu’à en arriver par moments à l’oublier. Là encore, à presque l’oublier, car bien sûr une telle enfance laisse des traces. Cet enfant heureux dans sa famille savoyarde avait tout de même gardé de cette période une blessure. Elle est le malentendu du titre de l’ouvrage.
Mais Maurice préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. S’il n’oublie pas qu’en France 76 000 Juifs ont été déportés, il tient à rappeler que 250 000 ont été sauvés. Que la France n’était pas raciste, même s’il a pu entendre ces mots qu’il ne connaissait pas : youpin, youtre, sale juif, salaud de youtre… Car les gens qui les ont prononcés « ne sont pourtant pas foncièrement méchants ; seulement malheureux ; seulement ignorants ». L’ignorance, un thème qui revient chez lui à plusieurs reprises : « Les mots ne tuent pas, ce qui tue, c’est le manque de mots, le manque de connaissances, le manque d’imagination, c’est l’inculture qui produit la peur de l’autre ».
Mais parfois Maurice est en colère. Il veut tordre le cou à cette vieille lune selon laquelle les Juifs ne seraient pas défendus, se seraient laissés faire. « Honte à ceux qui ont osé affirmer que les Juifs ne s’étaient pas battus, qu’ils avaient marché à la mort sans un geste de révolte, comme des moutons. Ceux qui persistent à le dire aujourd’hui sont des antisémites. » Et, au-delà de ses propres parents, tous deux engagés dans la Résistance, il rappelle, avec force chiffres et exemples, que c’était le cas de nombreux autres, soit dans des organisations juives, soit dans les mouvements français de résistants (plus particulièrement les FTP-MOI).
L’enfance heureuse de Marcel, Maurice ne l’a jamais oubliée. Il est retourné au Montcel, a retrouvé sa chère Lili, sa mère savoyarde, unique survivante des Pegaz qui l’avaient accueilli comme leur propre enfant, et son témoignage a permis de leur faire reconnaître la qualité de Justes parmi les Nations par le Mémorial de Yad Vashem au nom de l’État d’Israël. Il aurait bien aimé que tous ceux qui avaient ainsi pu être sauvés agissent de même : cela n’a pas toujours été le cas. Et ça aussi, ça le met en colère.
Mais si Maurice parle encore aujourd’hui de son histoire, c’est pour mieux souligner qu’aujourd’hui, dans ce monde, il y a toujours des enfants qui subissent les conséquences de nombreux conflits.
C’est que sa double appartenance familiale, judaïque et savoyarde, a permis à Maurice-Marcel de devenir un homme.
« Je suis devenu homme. Je suis devenu moi. Un grand-père qui écrit pour ses petits-enfants. Pour tous les enfants du monde. Pour les humains. Un homme respectueux de la foi des hommes, mais un homme hors de l’église, de toutes les églises et de tous les temples, de tous les dogmes. Un homme frère des hommes. De tous les hommes. Un citoyen du monde. »
De cela, Maurice, nous n’avons jamais douté.
Commentaire en réponse de Maurice Winnykamen
Dominique,
Il me fallait ce soir une béquille pour ne pas trébucher, et tu étais là. Trébucher contre l’égoïsme d’une amie juive qui m’a dit, avant notre débat, n’avoir pas assez d’universalité pour s’occuper du malheur actuel des autres et que le sien passé, lui suffisait, une amie à qui j’ai répondu que j’étais heureux de parler avec elle et que cela, je le devais à une famille française chrétienne qui avait eu, elle, il y a soixante-dix ans, assez d’humanité pour sauver l’enfant juif que j’étais. Trébucher contre la lâcheté de mes amis musulmans dont aucun ne s’est levé pour crier que cela suffisait d’assassiner des milliers de musulmans et de chrétiens au nom d’Allah en Syrie et que le crime de Nairobi ne pouvait en aucun cas être l’œuvre voulue par Lui. Trébucher contre l’oubli des crimes au nom de Dieu en Afrique. Trébucher quand mes amis de toutes religions, voire sans religion, n’ont pas su adresser à un ami prêtre un mot de solidarité pour les chrétiens victimes de l’assassinat raciste perpétré au Pakistan au non de Dieu. Et tu étais là.
Tu es comme ma chère Lili Pégaz, ma mère adoptive (et crois bien que cette adoption-là va dans les deux sens) qui me sauva la vie et me remercie chaque fois que je lui téléphone! Toi, tu m’assistes d’une manière formidable et ensuite, tu prends sur ton sommeil pour écrire ce message à fleur de peau précédé d’un mail où tu me dis merci. Arrêtons, la cour est pleine! Parlons plutôt du principal: la solidarité, la charité même; l’amitié, voire l’amour; le respect de l’autre, l’indulgence, la justice aussi; le refus du mensonge, n’ont pas de frontières, pas de limites sinon les limites de l’Être quelles que soient la couleur de peau de cet Être, ses origines ethniques, sa religion, ses idées.
Si j’écris, c’est pour le dire. Pour expliquer que mon expérience m’y oblige, du moins tel est mon point de vue, et je ne mérite aucun remerciement. Lili, toujours Lili, me disait un jour qu’elle n’avait rien fait d’extraordinaire – m’avoir sauvé et l’avoir tu durant plus de cinquante ans – et qu’à sa place, j’en aurais sûrement fait autant. Pas sûr, Lili, pas si sûr. Lili et mes Pégaz risquaient leur propre vie pour sauver la mienne, alors que j’étais pour eux un parfait inconnu.
Aurais-je eu ce courage et cette modestie? Mes écrits d’aujourd’hui sont bien peu de chose, je ne risque rien à les faire, sinon perdre quelques connaissances qui en me reprochant mes prises de position prouvent qu’ils n’étaient pas vraiment mes amis.
Dominique, c’est moi qui te remercie, de tout cœur, et c’est presque la larme à l’œil que je t’embrasse.
Maurice
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