Dans le cadre des rencontres qu’il organise régulièrement, le Mouvement Européen des Alpes-Maritimes et sa présidente Brigitte Ferrari avaient convié Nicole Fontaine, députée européenne de 1984 à 2002 et présidente du Parlement de 1999 à 2002, à animer une conférence-débat à Cagnes-sur-Mer suite à l’attribution du dernier Nobel de la Paix à l’Union Européenne. A nouveau une soirée intéressante, comme les précédentes auxquelles j’avais déjà eu l’occasion d’assister (voir mes billets sur les conférences ayant eu pour thèmes : L’Europe est-elle vraiment démocratique et Où va l’Europe ?), à laquelle Sami m’accompagnait.
Bien qu’usant toujours d’un ton très mesuré, comme à son habitude, la conférencière a réussi à faire passer dans l’assistance – dont il faut reconnaître qu’elle était déjà bien convaincue – son enthousiasme pour la construction européenne.
Elle ne pouvait dès lors que regretter la faiblesse des réactions ayant suivi en France l’annonce de la remise de ce prix par le comité norvégien qui constituait pourtant un événement considérable. Au contraire – et Mme Fontaine en a été, comme cela avait été mon cas, choquée – nombreux sont ceux qui ont fait preuve à cette occasion d’une mesquinerie qui, pour ma part, m’a indignée. Je ne peux m’empêcher d’espérer que le tir sera rectifié à l’occasion de la remise du Prix le 10 décembre à Oslo lors de laquelle les trois présidents (du Conseil, de la Commission et du Parlement) seront présents ainsi que les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’UE qui ont tous été invités.
En « Européenne convaincue mais réaliste », la conférencière nous a fait partager ses réflexions sur les actions passées, présentes et à venir d’une Union dont elle aurait préféré, au niveau du symbole, qu’elle continue à s’appeler une Communauté.
S’agissant du passé, son grand regret est lié à l’insuffisance de la valorisation des acquis de la construction européenne. « A chacune des grandes étapes (Maastricht, la monnaie unique…), nous n’avons pas été suffisamment entendus, nous étions trop sur la défensive, alors que le bilan était formidable ». Ce bilan, c’est celui d’une Paix qui dure depuis soixante ans. Que se serait-il passé, après la chute du Mur, s’il n’y avait pas eu l’Europe ? Les alliances anciennes auraient pu se reformer, une troisième guerre mondiale ravager à nouveau le continent. Et, à ce propos, elle trouve que la réunification de la grande famille européenne a été très mal présentée : les peuples n’ont pas été suffisamment associés à ce magnifique projet et du coup, peu d’enthousiasme s’est manifesté. Ce sont pourtant bien tous les pays européens qui ont vocation à rejoindre l’UE, notamment ceux des Balkans.
Pour le présent, j’ai plaisir à l’entendre affirmer qu’au Parlement européen, on porte la conviction que la communauté européenne est avant tout une communauté de valeurs. C’est non sans émotion qu’elle se souvient de ce grand moment où, sous sa présidence, le 5 septembre 2000, Abu Ala, président du Conseil législatif palestinien, et Avraham Burg, président de la Knesset, ont manifesté au sein du Parlement, à Strasbourg, leur soif de paix. C’est au nom de ces mêmes valeurs – et alors que certains s’étonnaient : « mais enfin ! le marché chinois ! » – que, représentant le Parlement européen aux cérémonies du rattachement de Hong-Kong à la Chine, en remplacement du président empêché, elle s’est fait un petit plaisir : après avoir assisté à la cérémonie organisée par les Britanniques, puis à celle anglo-chinoise, elle a boycotté celle du conseil chinois fantoche de la région.
Si Nicole Fontaine nous fait part des avancées positives (comme, par exemple, l’exigence de l’avis conforme du Parlement pour, notamment, la conclusion d’accords entre la communauté et un Etat tiers, qui lui permet de discuter des projets de texte), elle ne passe pas sous silence les faiblesses de la construction européenne.
La première qu’elle relève concerne l’absence de véritable politique étrangère commune : l’UE est trop absente sur la scène internationale (notamment dans le processus de paix au Moyen-Orient). « Elle ne doit pas être seulement un tiroir-caisse ».
La seconde est liée à l’image que l’Europe a laissé donner d’elle. Si elle est mal-aimée, c’est qu’elle a été le bouc émissaire de tout ce qui n’allait pas, de la crise actuelle, par exemple, alors qu’on sait pourtant qu’elle est venue des Etats-Unis et est la conséquence des erreurs de Bush. Elle fait le constat, qui sera partagé par plusieurs des intervenants au débat, du manque de femmes et d’hommes courageux ayant la dimension nécessaire pour faire avancer l’Europe. Et il est vrai qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de Robert Schuman. Lui n’aurait jamais demandé de laisser tomber la Grèce… En fait, depuis Jacques Delors, plus personne n’a été capable d’incarner la communauté européenne.
Pourtant, il nous faut trouver le moyen de combattre les extrémismes car, dans tous les pays, on assiste aujourd’hui à un repli nationaliste. Conséquence de la crise : l’exclusion s’est développée et l’on en attribue la faute à l’Europe. Or, il faut avoir conscience que « l’Europe est la solution, pas le problème ».
Il y a des signes d’espoir pour l’avenir : on semble avoir compris en France que l’alliance avec l’Allemagne, essentielle, ne suffisait pas, que nous devions nous tourner vers les peuples du Sud et manifester notre solidarité (avec les Grecs bien sûr, mais aussi les Portugais, les Espagnols, les Italiens). Des hommes sont en train de se révéler comme Mario Draghi, à la tête de la BCE, ou Mario Monti. D’ailleurs, après la Paix, le nouveau challenge de l’Europe, susceptible de mobiliser les citoyens, pourrait être celui de la Solidarité.
Nous devons donc avancer vers la solidarité fédérale : avec la crise, on ne pourra pas s’en sortir tout seul. On est sur le même bateau, et il faut continuer à avancer.
Je retiendrai, pour finir, de son intervention, une citation de Jean Monnet qui, en ces périodes troublées, laisse ouverte la porte de l’espoir : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions apportées à ces crises ».
En voilà un compte-rendu complet ! J’adore tout savoir sans bouger de chez moi grâce à plus courageuse que moi. Merci beaucoup Dominique.
Je ne te connaissais pas paresseux, Claudio 😉
Cela dit, je ne prétends pas avoir été exhaustive…
Si, je le suis parfois : quand il faut voir du monde, serrer des mains, se mêler à la foule, attendre, supporter la promiscuité etc. ça me coûte beaucoup. Je préfère une pizza livrée à domicile qu’une pizzeria et tous ses inconvénients. Merci pour la livraison Dominique.
Oui, très intéressant comme compte-rendu. Je travaille actuellement auprès d’une instance sise à Strasbourg. Son travail va tout à fait dans le sens d’une Europe-solution et non d’une Europe-problème. Un des grandes problèmes de cette Europe mal-aimée est que les gouvernants ne jouent pas le jeu : la transposition normale des directives européennes constituerait une très significative réserve de croissance. Les objectifs du zéro consommation d’énergie dans le bâtiment, l’ouverture des services,… Trop facile de critiquer une Europe qui détient au plus haut niveau une solide réserve de créativité pour faire avancer les choses. Les directives qui feraient avancer les choses ne sont que peu ou pas appliquées dans l’ensemble. Le Traité de Lisbonne avait pourtant montré d’emblée la bonne direction… Souhaitons que « l’Europe des bonnes solutions » se fasse enfin entendre par nos élus. ça nous évitera d’avoir à se contenter des rustines façon Gallois.
Le problème de l’inapplication des directives a en effet été évoqué par l’intervenante.
« Que se serait-il passé, après la chute du Mur, s’il n’y avait pas eu l’Europe ? Les alliances anciennes auraient pu se reformer, une troisième guerre mondiale ravager à nouveau le continent. »
Très peu probable: en 1990, l’Europe de l’Est était démographiquement, économiquement, technologiquement et militairement écrasée par l’Europe de l’Ouest (et aujourd’hui encore: les pays d’Europe de l’Est membres de l’Union représentent à peine 20% de sa population et moins de 12% de son PIB). Personne n’attaque un voisin qui dépense déjà 10 fois plus d’argent dans ses armées en temps de paix et qui dispose d’une technologie beaucoup plus fiable et avancée: si les guerres du 20ème siècle ont enseigné une chose aux hommes c’est qu’il est préférable de laisser les géants endormis faire leur sieste.
Par contre laisser les pays de l’Est aux portes de l’Union aurait eu des conséquences désastreuses pour les principaux intéressés: sans l’ouverture des frontières, l’arrivée de fonds frais venu d’Europe de l’Ouest, les programmes d’aides régionales, le gain en terme d’influence sur les affaires du monde, il n’aurait pas fallu longtemps pour que ces pays passent de la dictature soviétique à la dictature nationaliste. On le présente souvent comme un truisme, mais le fait est que les deux choses qui protègent le mieux contre le fascisme sont
1. Une tradition démocratique ancienne (moins il y a de gens qui se souviennent d’avoir vécu dans une dictature, moins il y a de candidats sous-fifres près à jouer les bureaucrates privilégiés d’une nouvelle tyrannie)
2. Une croissance économique fiable. (autrement l’absence de perspectives augmente la colère de la population, ce qui pousse les catégories aisées à faire alliance avec l’extrême-droite dans l’espoir qu’une dictature d’extrême-droite protégera leurs intérêts)
Enlève l’intervention de l’Union, et tu as les ingrédients pour la transformation de l’Europe de l’Est en archipel de dictatures fascistes ponctuées de fragiles démocraties aux abois. Celles-ci n’auraient pas eu les moyens de menacer une Union Européenne changée en club de riches, mais cela n’aurait rien enlevé au caractère répugnant d’une telle situation.
***
J’en profite aussi pour rappeler un petit « détail sans importance »:
de 1980 à 1990, la croissance économique de l’Union Européenne a été identique à celle des États-Unis
de 1990 à 2000, la croissance économique de l’Union Européenne a été trois fois moindre que celle des États-Unis
de 2000 à 2010, après l’entrée des nouveaux états membres de l’Union, la croissance économique de l’Union a été 1,7 fois supérieure à celle des États-Unis.
Cette dernière décénie fut celle durant laquelle les « déclinistes » nous ont servit jusqu’à l’écœurement le discours selon lequel l’Europe était à la traîne de l’Amérique, selon lequel on aurait jamais dû élargir, selon lequel il fallait prendre modèle sur Junior le Terrible autrement nous allions sombrer dans le tiers-monde… Peut-être faudrait-il s’en rappeler la prochaine fois que les mêmes diront que l’apocalypse est imminente si on ne leur donne pas tous les leviers du pourvoir, là, toute de suite, séance tenante.
***
« « mais enfin ! le marché chinois ! » »
À toutes fins utiles, je rappelle que de l’aveux même du Vice-premier-ministre chinois Li Keqiang, les chiffres de la croissance chinoise sont truqués.
***
« La seconde est liée à l’image que l’Europe a laissé donner d’elle. Si elle est mal-aimée, c’est qu’elle a été le bouc émissaire de tout ce qui n’allait pas, de la crise actuelle, par exemple, alors qu’on sait pourtant qu’elle est venue des Etats-Unis et est la conséquence des erreurs de Bush »
Ha non: Junior a aidé, mais si on veut un coupable originel, il faut remonter à Reagan. C’est lui qui a imposé l’arnaque des « supply-side economics » (« baissez les impôts des plus riches, et abracadabra, la croissance viendra toute seule!) au parti républicain d’abord (alors que tous les pontes du GOP, y compris Bush père, qui a été le vice-président de Reagan pendant huit ans, savaient que c’était de la foutaise), aux USA et au reste de l’économie mondiale ensuite. 30 ans de stagnations du revenu des classes moyennes, 30 ans d’augmentation de l’écart de richesse entre riches et pauvres, 30 ans d’inflation népotique et de dévaluation des diplômes du savoir et de l’expertise dans la promotion sociale: la crise actuelle n’est que l’inévitable moment où l’imposture économique est devenue impossible à masquer.
***
« En fait, depuis Jacques Delors, plus personne n’a été capable d’incarner la communauté européenne. »
En parlant de la Grèce, j’en profite pour rappeler qu’en son temps Delors a voulu dénoncer haut et fort la politique de malversations à grande échelle d’Athènes. C’est Mitterrand qui à l’époque y a mis son véto, par crainte d’une crise diplomatique. On voit là le problème de créer un fédération de fait tout en laissant à chaque état-membre sa propre chancellerie: épargner les fragiles orgueils des chefs d’états et de gouvernement devient la priorité face à l’instauration d’une politique économique valable, et le jour où il n’est plus possible de laisser jouer les faux-semblants, on décrète des remèdes d’urgence odieusement douloureux qui aurait pu être administrés de manière beaucoup plus douce 20 ans plus tôt.
Belles couleurs de la forêt automnale, Bourgogne ?
Non, Manu, Alpes-Maritimes. Vallée du Var, un peu avant l’embranchement pour la vallée de la Tinée…
Magnifiques !
et une nouvelle chance aussi!