Mise au point collective autour de la désormais traditionnelle revue de presse collective de Gauche Autrement du vendredi à la permanence de Cyrille Besset : non, l’extrémisme de Marine Le Pen n’est pas une version édulcorée de celui de son père, non l’islamisme des forces politiques qui ont le vent en poupe dans les pays du printemps arabe n’est pas compatible avec les valeurs de la démocratie et du droit des femmes.
C’est à partir d’un article du Point, consacré à la présence de la candidate FN à un bal autrichien de nostalgiques du IIIe Reich, qu’on a pu confirmer le constat que rien ne séparait la fille du père : ni le goût de la provocation, ni l’impudeur des explications. Comment, dès lors, contrer les arguments démagogiques et souvent simplistes auprès de l’électorat de gauche, auprès des classes populaires et des classes moyennes ?
Quant à la discussion sur le printemps arabe, c’est plutôt spontanément qu’elle a surgi à la suite d’une analyse de Sami de retour de Tunisie et qui nous expliquait que les islamistes, pourtant considérés comme modérés dans ce pays, étaient en fait fortement subventionnés par l’Arabie Saoudite et que le statut de la femme tunisienne était sérieusement en péril.
Au-delà de ces sujets, il y a lieu de se féliciter des débats que nous conduisons le vendredi. Comme le dit d’ailleurs celui qui est à l’origine de la revue de presse, Lucien Fouques : « Chacun a pu se rendre compte qu’il faut sortir des sentiers battus et des caricatures si on veut échapper au matraquage médiatique quotidien. Difficile de s’y retrouver dans le foisonnement d’infos qui nous submergent où, pêle-mêle, après les chutes de neige succèdent les photos terrifiantes de la Syrie, les scoops des avatars du printemps arabes, les accidents automobiles, la crise et l’austérité en passant par une méchante affaire de viol. De quoi avoir le tournis. Aussi, la discussion de ce vendredi a confirmé ce qui ressortait des deux précédentes rencontres, le besoin de comprendre, de s’informer et de parler. C’est dire que l’on était bien loin de la télé réalité ou de questions pour un champion ! »
Rendez-vous est pris pour d’autres vendredis. Je ne doute pas qu’ils seront aussi intéressants que les premiers.
Il réside un point commun, et qui est flagrant entre ces deux extrêmes, la verticalité des idées qui exclue toute autre. Seule leur « propre » minorité peut être « rassurante ». J’ai apprécié cependant les valeurs de l’Islam et de leurs pratiquants, mais j’évoque ici les vrais pratiquants, ceux qui ne confondent pas le livre, et ce à quoi il est sensé être destiné. Mais en fait, il en est ainsi pour toute religion. Il y en a qui regardent obstinément deux planches avec un cadavre cloué dessus, et il y en a qui s’éveillent à la lumière. Quand à Marine, ne parlons pas de cauchemar, au propre comme au figuré.
Comment, dès lors, contrer les arguments démagogiques et souvent simplistes auprès de l’électorat de gauche, auprès des classes populaires et des classes moyennes ?
Il y a à peine deux semaines le journaliste Ta-Nehisi Coates publia sur son blog un texte concernant l’emploi du racisme par les ténors du parti républicains:
«Racism is, at its root, a lie.The habit of lying does not end with the racism itself. It is a contagion that extends to the defense of the initial lie. The expectation of intellectual honesty, from a candidate who employs dishonesty, and from a slice of the electorate that stakes their political lives on that dishonesty is rather bizarre.
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When a professor of history calls Barack Obama a « Food Stamp President, » it isn’t a mistake to be remedied through clarification; it is a statement of aggresion. And when a crowd of his admirers cheer him on, they are neither deluded, nor in need of forgiveness, nor absolution, nor acting against their interest. Racism is their interest. They are not your misguided friends. They are your fully intelligent adversaries»
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« Le racisme est, à sa racine, un mensonge. L’usage du mensonge ne s’achève pas avec le sentiment raciste lui-même. C’est un mal contagieux qui s’étend vers la défense du mensonge initial. L’attente d’honnêteté intellectuelle de la part d’un candidat qui fait preuve de malhonnêteté comme de la part de la fraction de l’électorat qui misent leur avenir politique sur cette même malhonnêteté est plutôt bizarre.
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Quand un professeur d’histoire surnomme Barack Obama le « président de la banque alimentaire* », ce n’est pas une erreur qui doit-être corrigée via une clarification: c’est une déclaration de guerre. Et quand un foule de ses admirateurs l’applaudit, ils ne sont ni dupes, ni dans le besoin d’être pardonnés ou absous, ni en train d’agir contre leur intérêt. Le racisme EST dans leur intérêt. Ils ne sont pas vos malheureux amis fourvoyés. Ils sont vos ennemis délibérés. »
Bien que le texte de Coates ai été écrit en réaction au déplorable concours de démagogie auquel s’adonnent les candidats aux primaires du parti républicain, sa conclusion générale est applicable partout: l’électeur d’un politicien au discours fasciste n’est pas l’innocente victime d’une manipulation, mais le cynique complice qui a froidement conclu que la perversité de son candidat -dont il est parfaitement conscient- lui sera profitable.
Quand Coates dit que le racisme comme la justification du racisme sont des mensonges, cela signifie que ceux qui adhèrent au discours raciste ou lui cherchent des excuses sont des menteurs délibérés: il est inutile de gâcher son temps et son énergie à expliquer à un électeur du FN que seule une infime minorité de Musulmans fantasme sur l’instauration d’une dictature cléricale: ils le savent déjà; il est inutile de gâcher son temps et son énergie à expliquer à un électeur du FN que non, les dés ne sont pas pipés au détriment des blancs mais au détriment des minorités: ils savent déjà que les dés sont pipés à leur avantage: c’est juste qu’ils ne le sont pas encore assez à leur goût; il est inutile de gâcher son temps et son énergie à expliquer à un électeur du FN que les immigrés ne sont pas congénitalement plus criminels que le moyenne: ce mythe n’existe que pour créer un simulacre de préoccupation citoyenne.
Il faut tordre le coup au mythe de l’innocente victime du démagogue d’extrême-droite: un électeur frontiste qui prétend croire aux clichés racistes -les Juifs sont de perfides comploteurs, les Noirs sont des parasites paresseux, les Arabes sont violents et libidineux, etc…- est un menteur. Un électeur frontiste qui reconnaît que les clichés racistes sont stupides et faux et qui embraye en affirmant que le programme de son parti ne vise pas à nuire aux minorités est un menteur un chouïa plus subtil.
Les arguments du FN ne sont pas là pour convaincre: ils sont là pour masquer: Personne n’osera jamais dire « J’ai décidé de voter pour un fasciste parce que j’estime que l’instauration d’une aristocratie blanche entretenue par l’assujetion et le désaffranchissement des minorités va dans le sens de mon intérêt personnel »: mieux vaut passer pour le dernier des imbéciles plutôt que paraître cynique au point d’en être vile. C’est là toute la force des arguments « démagogiques et souvent simplistes » du FN: personne n’y croit, mais toute personne ayant été tentée par le vote FN aura un intérêt bien compris à prétendre avoir été convaincu. Dès lors le meilleur moyen de lutter contre ce type de discours est de ne pas tomber dans le panneau: de ne pas croire que les frontistes croient à leurs propres mensonges: c’est comme cela que l’on finit par venir à bout des charlatans: en répétant inlassablement qu’ils ne croient pas à leur propre verbiage jusqu’à ce que l’illusion tombe.
* Un vieux cliché raciste aux USA est de prétendre que les noirs sont congénitalement paresseux et préfèrent attendre qu’on leur envoie des bons alimentaires plutôt que de travailler