Il est de bon ton – surtout à gauche – de critiquer l’Europe, source de tous les maux, cible de toutes les moqueries… Cette Europe qui a eu la monstrueuse prétention de vouloir se doter d’une Constitution !
Et pourtant, quelle est la partie du monde où le niveau de démocratie et de liberté est le mieux assuré ? l’Etat de Droit le plus solide ? la protection sociale la plus élevée ? la peine de mort éradiquée ? Assurément l’Europe.
C’est un peu la raison pour laquelle je souhaitais me rendre depuis plusieurs mois à l’une des manifestations organisées par le Mouvement Européen (lors de sa création en 1948, cet organisme avait notamment, pour Président d’honneur, Léon Blum). Mais, à chaque fois, j’avais une bonne raison pour n’en rien faire, le plus souvent parce que j’étais retenue par des obligations qui me semblaient incontournables. Il en va malheureusement souvent ainsi : on privilégie l’immédiateté à des réflexions plus essentielles.
C’est donc avec enthousiasme que je me suis rendue mercredi soir, dans le cadre de « La fête de l’Europe », à une conférence-débat sur le thème « L’Europe est-elle vraiment démocratique ? » C’est Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au Conseil d’Etat, très au fait du fonctionnement des institutions européennes pour les avoir pratiquées, auteur d’ouvrages de référence sur le sujet, qui était au programme.
La dynamique Présidente du Mouvement Européen 06, Brigitte Ferrari, introduisit le sujet, rappelant au passage que l’Europe n’ouvre ses portes qu’à des Etats démocratiques : c’est, en effet, une nécessité pour adhérer à l’UE. Dès lors, pourquoi se poser la question du caractère démocratique de l’Europe ? Parce que cette construction supranationale a entraîné des transferts de compétence et que la question de la légitimité des décisions prises se pose.
C’est cette thématique que le conférencier s’est attaché à développer durant une heure d’un exposé qui a séduit, je pense, celles et ceux qui avaient eu la bonne idée d’être là. Pour ce faire, Jean-Luc Sauron a d’abord mis en évidence le lieu où s’exerce actuellement la réalité du pouvoir au sein de l’UE, à savoir le Conseil européen (qui réunit les chefs d’Etats et de gouvernements) qui, avec la désignation d’un Président, a permis l’émergence d’une véritable gouvernance européenne et laisse moins de place aux autres organes qu’il s’agisse de la Commission – qui, aujourd’hui, n’impulse plus et a surtout un rôle de « facilitateur » de décisions » – ou du Parlement européen – qui souffre, à la fois, de son mode d’élection (dégressif proportionnel : ainsi un parlementaire luxembourgeois représente 40 000 électeurs et un parlementaire allemand 880 000 électeurs…) et de l’éloignement de ses élus, peu connus dans la population.
L’évolution a conduit à une « francisation » du système européen avec un Conseil européen qui est l’équivalent de notre Président de la République et un Conseil des ministres (qui, aujourd’hui, n’a plus aucun rôle moteur) qui peut être rapproché de notre Premier ministre.
Ceci pose le problème du contrôle des décisions prises par les autorités européennes. En fait, pour que le processus soit vraiment démocratique, il faudrait, comme cela est le cas dans les Etats fédéraux ou encore dans la pays anglo-saxons, que la France associe les citoyens (notamment les collectivités territoriales) sur les grands projets. Or, nous le savons bien, ce n’est pas le cas : il n’y a pas de contrôle majeur de ceux qui décident à Bruxelles. Le plus grave réside sans doute dans le processus initié par le Traité d’Amsterdam et confirmé par le Traité de Nice, pour l’élaboration d’un modèle social et économique européen : la MOC (méthode ouverte de coordination). Il s’agit d’un mode de gouvernance souple et flexible dans les domaines où l’UE n’a pas de compétences affirmées : le Conseil européen décide des grandes idées et les Etats membres les mettent en œuvre. Mais l’origine européenne de ces grandes lignes n’apparaît pas, ce qui est grave, car aucun contrôle n’existe.
Après avoir esquissé quelques propositions pour améliorer le système, la parole a été donnée à la salle. Ceci a permis au Vice Président du Mouvement Européen 06 de mettre en évidence la différence qui existe entre la démocratie française et la démocratie européenne : la première est d’opposition, la seconde de consensus, ce qui est souvent, pour nos concitoyens, une source d’incompréhension sur le fonctionnement du système.
Au terme de cette intéressante soirée qui, grâce à la compétence, la pédagogie et… l’humour de Jean-Luc Sauron, a passé bien trop vite, on se dit qu’il y a encore du boulot pour que les Français ne voient plus l’Europe comme une chose extérieure à eux-mêmes, se gouvernant seule. Mais ce jour-là, ils seront vraiment Européens…
Merci pour ce compte-rendu Dominique. Ton enthousiasme me fait doublement regretter mon absence. (Quand je pense que c’est un tout petit truc de rien du tout de la famille de « l’immédiateté » qui m’a empêché d’y assister, j’enrage)
Bonjour, :
« Le Conseil européen décide des grandes idées et les Etats membres les mettent en œuvre. Mais l’origine européenne de ces grandes lignes n’apparaît pas, ce qui est grave, car aucun contrôle n’existe. »
(!)… Sans voix, je ne sais comment « commenter » mais pour ce passage, effectivement c’est grave, car sans visibilité de l’origine ni contrôle, nous avons affaire à un monde occulte.
Et me viennent à l’esprit les termes d’un européen du nord qui affirmait qu’en France nous avions de la chance d’avoir une extrême droite plutôt … maladroite, en Europe du nord nous avons là affaire à des pro de l’extrême!
Dominique je partage totalement ton enthousiasme pour cette conférence. Elle était à la fois utile, intéressante et agréable.
Si nous prenons un peu de recul, posons avant tout la question de l’Europe que nous voulons. Celle que tu décris? dominique, est, malgré les travers que tu rappelles, globalement positive, comme le disait pour l4uRSS un ancien dirigeant communisten disparu. Qu’il s’agisse de politique étrangère avec les révolutions arabes, de la régulation de la finance, de la fiscalité, de la justice, des droits de l’Homme, on trouve tout et son contraire. Est-ce Orban en Hongrie qui va donner le ton, ou bien ces gouvernements qui pactisent avec les droites extrêmes, comme l’Italie, les Pays-Bas, ou encore l’Autriche qui vont préciser les contours de l’Europe?
Quand serons-nous européens? Sûrement pas de sitôt avecn une Union où une seule voix sur 27 états suffit à bloquer toute décision, où la finance rêve de la suppression de toute réglementation, nayant tiré aucune leçon de la crise dont nous ne voyons encore pas la fin.
Nous sommes tous d’accord pour une Europe que nous sommes en droit d’espérer.
Comme avec la révolution soviétique, restons prudents avant de nous lancer à corps perdu dans une aventure sur laquelle nous n’aurions aucun contrôle. On voit où cela a mené.
Sans diaboliser l’actualité, ne tombons pas non plus dans l’angélisme et définissons bien les règles du jeu et notamment précisons bien la question du pouvoir de l’Europe: qui commande, qui dirige, qui contrôle. Evitons d’en parler de cette Europe comme on parle de la confiture, moins on en a plus on l’étale.
Dominique, c’est un vrai bonheur de vous lire à nouveau…
Je me disais, cela fait bien longtemps que je n’avais pas lu un blog de Dominique…
Même si la construction européenne est souvent confuse et assez compliquée à comprendre pour le Français d’en bas, « la France est notre patrie, mais l’Europe est notre avenir »disait le grand homme à la rose.
De la pédagogie, encore de la pédagogie, toujours de la pédagogie et l’Europe sera sauvée….
[…] déjà eu l’occasion d’assister (voir mes billets sur les conférences ayant eu pour thèmes : L’Europe est-elle vraiment démocratique et Où va l’Europe ?), à laquelle Sami […]