Selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (dont il convient de rappeler qu’elle fait partie de notre droit constitutionnel positif), « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Au nom de ce principe, les peines automatiques sont interdites en droit français et c’est au juge qu’il revient d’apprécier l’importance de la sanction qu’il va prononcer sous réserve d’un plafond légalement prévu afin de préserver les libertés individuelles contre l’éventuel arbitraire des magistrats.
En France, aucun démocrate digne de ce nom ne penserait à remettre en cause ce principe. Pourtant, le Président de la République n’a eu de cesse de revendiquer la nécessité, selon lui, de peines plancher. Il l’a fait à l’occasion de la loi sur la récidive de décembre 2005 ; il l’a fait un an plus tard dans le cadre de la loi sur la prévention de la délinquance (pour les mineurs récidivistes dès la deuxième récidive). Isolé, y compris dans son propre camp, il n’y est jamais parvenu. Il a seulement pu obtenir des peines plancher avec une dérogation possible ordonnée par le juge. Il en a encore fait un cheval de bataille pendant la campagne présidentielle et s’est à nouveau exprimé sur le sujet en mars 2010 à l’encontre des meurtriers de policiers pour lesquels il demandait une « réclusion criminelle à perpétuité systématique assortie d’une peine de sûreté de trente ans ». Le Président ne peut ignorer l’inconstitutionnalité de telles mesures. C’est donc pure démagogie de sa part que de s’exprimer ainsi en flattant l’opinion publique dans le sens du poil. Il sait très bien que seul le juge (les magistrats professionnels ou le jury populaire) peut fixer la sanction dans la limite du plafond prévu par la loi.
Les peines systématiques ou automatiques sont la règle dans de nombreux Etats américains à la troisième récidive. Non seulement elles aboutissent à des décisions aberrantes (par exemple : 30 ans de prison pour avoir volé le magnétoscope et la collection de monnaie d’un voisin après avoir été condamné deux fois pour avoir mis le feu à une boîte à ordure et à un vide-poche de voiture du même voisin), mais en plus elles n’ont aucun effet dissuasif puisque c’est aux Etats-Unis qu’on trouve la plus forte criminalité (et un nombre impressionnant de condamnations à mort).
Pourquoi parler aujourd’hui de cette question qui ne semble pas à la pointe de l’actualité ? Parce que, à l’occasion d’une QPC, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnel, dans une décision du 11 juin 2010 (je n’avais pas trouvé le temps d’écrire alors un billet), l’article L7 du code électoral aux termes duquel « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal. » Cet article réprime plus sévèrement certains faits lorsqu’ils sont commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public en prévoyant une incapacité automatique d’exercer une fonction publique élective d’une durée égale à cinq ans.
Cette décision du Conseil a une conséquence immédiate : elle annule de facto les inéligibilités retenues à l’occasion de la condamnation des élus pour les infractions susvisées (abus de biens, corruption, abus d’influence, pratiques discriminatoires…) lorsque le juge ne les a pas expressément prononcées.
Nombreux ont été les commentaires dans différents forums et sur certains blogs prompts à se scandaliser d’une telle décision sur fond de « c’est la classe politique qui s’absout elle-même » (on oublie allègrement au passage qu’il y a plus qu’une marge entre la « classe politique » et le Conseil constitutionnel). On peut trouver les conséquences immédiates de cette décision désagréables et je les trouve désagréables.
Pour autant, sur le fond, on ne peut admettre, là plus qu’ailleurs l’automaticité des peines. Que l’on prévoit des peines plus importantes pour les personnes investies de certaines fonctions et notamment les élus, oui. Que le juge puisse condamner à ces peines, oui. Qu’il n’ait même pas besoin de se prononcer dessus, non.
Le principe de l’individualisation des peines ne peut souffrir aucune exception. Une autre décision du Conseil aurait été la porte ouverte à tous les abus… dont la validation des peines plancher n’aurait pas été le moindre.
Je trouve cet article passionnant … donnerait envie de se mettre au droit
Vos analyses juridiques sont limpides et surtout très utiles pour aller au delà de l’écume des jours. Merci.
[…] Le Président enfourche également à nouveau et de plus belle son dada à propos des peines peines plancher. Pourtant, le Conseil constitutionnel a déjà condamné l’automaticité des peines, le 11 […]
Je ne suis absolument pas convaincu par le début de votre argumentation. Pourquoi ?
Vous vous référez aux principes révolutionnaires de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée »
Deux principes : celui de non rétro-activité de la loi, et celui d’absence d’arbitraire qui justifierait la mise en place d’un plafond mais qui justifie aussi la mise en place d’un plancher (pour éviter justement tout arbitraire tant en excès de sévérité qu’en excès de clémence).
Ce principe révolutionnaire d’absence d’arbitraire a tellement été poussé à l’extreme que dans un premier temps plancher et plafond se confondent. Au début de la révolution, le principe d’individualisation des peines n’existe pas. Pour chaque crime si la culpabilité est reconnue, un barême strict s’applique. Ce n’est, je crois, qu’en 1810 que le code pénal introduit un minimum et maximum pour chaque peine et dès lors donne au juge et jury un pouvoir d’appréciation sur la peine à appliquer.
Donner trop de pouvoir d’appréciation à un juge à travers l’individualisation des peines, c’est certes pouvoir prendre en compte un certains nombre de cas particuliers et pouvoir distinguer entre le criminel susceptible de se ré-adapter dans la vie en société et celui qui doit en être écarté pour la protection de celle-ci, mais c’est aussi renforcer le pouvoir arbitraire de la justice.
C’est le peuple par la voix du législateur qui fixe le cadre de la justice. Le juge applique ce cadre, il ne décide pas de la loi car dans de tels cas la justice n’est plus indépendante, elle devient arbitraire.
@ Adena,
Au nom du principe de séparation des pouvoirs, c’est au juge qu’il revient d’appliquer et d’interpréter la loi. Ce ne peut être un simple automate (sinon on pourrait se passer de lui). Comment n’avoir « que des peines strictement et évidemment nécessaires » sans individualiser la sanction ? Personnellement, je ne vois pas. Et, semble-t-il, le Conseil Constitutionnel non plus…
Je vous renvoie à ce que disait « le bon juge Magnaud » à la fin du 19e siècle à propos de l’état de nécessité : « le juge peut et doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi ». Cela dit, je vous accorde qu’il n’était pas un modèle de rigueur juridique et qu’il faisait plus souvent prévaloir l’équité sur la loi ce qui présente un danger certain en matière de sécurité juridique.