Elle est assise sur une chaise, les yeux baissés, semblant ailleurs. Je l’imagine perdue dans ses souvenirs. Dans cette cour de l’école Saint Philippe, où tous les élèves ont été rassemblés dans l’après-midi pour la cérémonie d’inauguration de la plaque à la mémoire des enfants juifs de l’établissement morts en déportation, elle a l’air très loin de nous, très loin de ceux qui s’expriment derrière le petit pupitre et qui pourtant s’adressent à elle… J’ai pensé un temps qu’elle ne prendrait pas la parole. Je me trompais.
Une fois debout, la métamorphose est spectaculaire : très droite, le ton ferme, la voix claire, le propos sans concession, c’est la grande dame que l’on connaît. Loin de toute démagogie, loin des discours qui voudraient nous faire croire que tout est égal à tout, elle explique pourquoi la Shoah ne peut être ramenée à quelque autre génocide. Elle nous rappelle cette volonté des nazis de traquer les Juifs partout dans le monde, y compris dans les lieux les plus invraisemblables (elle nous parle de cette minuscule île grecque où ils ont débarqué pour éliminer une toute petite poignée d’entre eux), chose qui n’a pas d’équivalent. Les génocides qu’a connus notre monde plus récemment prenaient appui sur des conflits ethniques et territoriaux ou encore étaient l’expression de la volonté d’éliminer une classe sociale. Cela n’enlève rien au drame et à l’horreur de ces actes barbares que de dire qu’ils ne sont pas de la même nature que la Shoah. Son discours est dur, mais elle nous avait prévenus dès ses premiers mots.
C’est à notre intelligence, notre raison qu’elle s’adresse, plus qu’à notre cœur. Et pourtant l’émotion me submerge.
C’est le même sentiment qu’a éprouvé Patrick ce matin lors d’une cérémonie analogue au Lycée du Parc Impérial. Là encore, l’absence de concessions était remarquable. Elle n’hésite pas à dire que oui, il y a eu pendant cette période beaucoup de lâcheté de la population (dans l’après-midi, elle affirmera cependant que la France a été l’un des pays d’Europe où le plus grand nombre de Juifs avaient été sauvés). Si elle-même, lorsqu’elle était lycéenne à Calmette, a été épargnée et aidée par les enseignants, ce ne fut pas le cas au Parc Impérial où son frère n’a eu aucune protection des professeurs.
La cérémonie avait été ouverte par la chorale de l’école, elle se terminera de la même manière. Je quitte rapidement les lieux : mes étudiants m’attendent à deux pas de là. Et j’emporte un peu de la mémoire de Simone Veil avec moi.
Article émotion très réussi Dominique : chair de p(b)oule dans la gorge au rendez-vous.
Merci.
Autre note émotion découverte ce matin chez mon ami Louis-Paul : http://leblogdelouis-paul.hautetfort.com/archive/2007/10/16/droits-de-l-homme.html
Merci de cette très belle note et merci à Claudio de m’avoir amené ici ce matin.
J’ai un profond respect et une admiration pour Simone Veil.
Je la revois debout à l’Assemblée Nationale face à ce monde (masculin) hostile et grossier défendant son projet de loi.
Elle est la preuve qu’au-delà des partis (pris), les valeurs humaines ne s’encartent pas.
Et que l’esprit ouvert permet de belles découvertes, de belles rencontres.
Et je lis encore une fois ce superbe billet écrit dans Nice-Matin le vendredi 12 octobre :
« LA PETITE FILLE AUX YEUX CLAIRS »
Très bonne journée à vous.
En parlant de la spécificité de la shoah, je pense qu’il y a un aspect qu’il ne faut pas oublier:
Prenons l’exemple du génocide des Arméniens: le génocide a eu lieu, mais bien que les dirigeants Turcs continuent à pratiquer une hypocrisie d’état à ce sujet, il n’y a pas chez eux l’obsession de « finir le travail », de même que les groupes nationalistes qui adhèrent eux aussi à ce négationnisme (tout en cherchant à justifier le comportement des génocidaires) se complaisent dans l’idée d’un splendide isolement et n’ont pas jusqu’à présent montré de désir de déclarer la guerre au monde entier pour pourchasser les descendants des rescapés.
Dans le cas de la shoah, il n’y a pas que l’obsession meurtrière passée: il y a l’obsession meurtrière toujours bien vivace. La shoah est un génocide qui n’est pas terminé parce que la volonté de tuer est toujours extraordinairement vivace chez les antisémites d’aujourd’hui (qui soit dit en passant n’ont pas tous de filiation génétique avec leurs prédécesseurs, n’en déplaisent aux amoureux du déterminisme de l’ADN). Cette particularité se retrouve également dans le négationnisme de la shoah: ce discours n’est pas seulement là pour nier un acte inavouable, il sert également de code: ceux qui le répètent disent en même temps « nous voulons recommencer, nous volons recommencer, nous voulons recommencer… »
Jolie note !
[…] de l’école Saint-Philippe morts en déportation. Cette rencontre m’avait inspiré le billet écrit le 16 octobre 2007 que je reprends […]